Crises d'Afrique: Quelle place pour l'Université africaine?
De
la destruction à la désintégration sous forme de colonialisme et
néocolonialisme, années de désillusion qui ont emporté dans les systèmes
népotiques et obscurantistes à partis uniques, nos grands rêves de libération
et de prospérité et qui ont plongé
nos intelligences dans une sorte de dépression psychique et d’angoisse
métaphysique d’où jaillit constamment le besoin de comprendre ce qui nous
arrive réellement.[1]
Il
y a urgence pour chacun de nous de mettre fin à ces périodes de traumatisme.
Créer une nouvelle conscience chez les africains. Ainsi posés les enjeux de
cette mouvance, nous en tant qu’universitaires devons-nous questionner sur le
rôle et la place de l’université comme
lieu de production et de construction du savoir. En d’autres termes quel rôle
peuvent jouer les universitaires, les intellectuels dans la lutte pour la
Reconstruction de l’Afrique.[2]
Avant
d’entamer toute démarche quelconque, il nous revient de nous appesantir sur la
notion même de l’université. Car nous osons douter sur le fait que beaucoup
parmi nous ne connaissent pas réellement ce qu’est l’université et pourquoi
nous sommes à l’université. Cela peut paraître banal mais c’est ce qui est. Notre
intention ne serait donc pas d’embarrasser ceux-là mais plutôt de montrer que
ces questions sont assez capitales et nous pouvons même dire qu’elles sont
« ontologiques ». Car si nous parlons de crises d’Afrique
aujourd’hui, c’est justement sur cet angle que nous voulons nous situer. Cette
perspective est aussi partagé par Engelbert MVENG de regretté mémoire. Il
parlait de « Paupérisation anthropologique »[3]
pour montrer le piège dans lequel l’africain est tombé.
Nous
pouvons aussi être convaincus du fait que si nos institutions sont en crise
aujourd’hui, cela ne peut être que le résultat de « la crise de notre
intériorité ». Il serait toujours facile d’indexer les autres, de leur
faire porter le casque de nos échecs plutôt que de nous remettre nous-mêmes en
questions devant un certain nombre de faits qui ne vont pas en droite ligne
avec notre formation d’universitaire. C’est bel et bien l’homme africain en
tant que « roseau pensant » qui est lui-même entré en crise. D’où un
appel collectif à réfléchir sur la thématique de l’université en Afrique avec
en toile de fond l’université comme
lieu de construction de la nouvelle humanité africaine, comme cadre
d’enracinement, de renforcement et de renouvellement de notre être, pour la
Reconstruction, la Renaissance de l’Afrique[4]. Nous
avons choisi le chemin du leadership pour baliser notre voie. Mais avant d’en
arriver là, présentons l’état de santé de l’universitaire africain
d’aujourd’hui.
Les
Ecoles, les Centres pour les Recherches, les Instituts voire même les Académies
devraient en principe être les temples du savoir, de l’excellence et de la
construction des « esprits libres » comme le dit si bien Friedrich
Niestzsche. Aujourd’hui, ils sont des « lieux de ressourcement pour les
hommes politiques, les opérateurs économiques, les élus locaux, les citoyens à
la base. » (Bertrand Tientcheu, 2005 : 53). Au Cameroun n’entendons-nous pas souvent les
désigner de « tombeaux pour les génies » ? Et cela justifie le
fait que nous sommes dans une société qui est tombée en dessous du seuil de
dégénérescence. Nous sommes passés du statut de l’excellence à celui de la
médiocrité. (Bertrand Tientcheu, 2005 : 49).
Nos
universités sont aussi les cibles privilégiées des différents mouvements
religieux sulfureux et autres cercles ésotérico-mystiques qui se déploient en
branle sur le continent africain. Ces églisettes
qui se créent ainsi à tout bout de champs dans nos institutions académiques,
pour la plus part sans un fondement théologique et biblique solide, sont des
lieux d’imbécilisation collective et
de déstructuration psycho-mentale et sociale de la personne. Elles récusent
l’utilisation de l’intelligence, don de Dieu à l’Homme, et développent une
religiosité du délire irrationnel, des convulsions burlesques et quasi démentielles.
Leurs principales cibles sont les jeunes intellectuels, notamment ceux-qui
n’ont plus foi en l’avenir et aussi les adeptes de nouvelles expériences
mystico-religieuses. Ce sont de grosses industries de manipulations des
consciences.
Nos
universités ne sont pas en reste de l’influence du pouvoir politique. Les
responsables pour la plupart sont nommés de façons politiques. Il faut parfois
appartenir à un certain « cercle vicieux » dont nous ne maîtrisons ni
de tenant, ni d’aboutissant. Le « politique et l’administratif priment sur
l’académique ». Quel résultat pouvons-nous espérer devant de telles
situations ? N’est-ce-pas que des enseignants clochardisés ? En plus,
« ceux qui ont la possibilité de s’embourgeoiser, sont embrigadés dans le
système politico-administratif. Ils ne peuvent plus dispenser les cours
normalement, ils sont intellectuellement « morts », la recherche est
asphyxiée. Pour preuve où sont nos éminents intellectuels camerounais et
africains aujourd’hui ? Combien sont ceux là qui prennent avec engouement
leur fonction de Magister,
n’est-ce-pas que tous veulent s’identifier à la fonction seconde qui leur a été
attribué plutôt qu’à ceux pourquoi ils se sont formés ? C’est pourquoi, à
cause de cet abandon des facultés, on ne peut avoir que les étudiants mal
formés. Ils sortent des universités nantis de diplômes, mais n’ont aucune
expertise réelle. Ils n’arrivent pas à s’intégrer dans un environnement de plus
en plus compétitif.
D’où
vient le fait que dans nos universités, on puisse rencontrer ce genre de
problème ? Où se trouverait donc la « racine du mal
africain » ?
Eboussi
Boulaga dans L’honneur de Penser nous
dira que la racine du mal africain est « l’absence de pensée ». Parce
que nous ne pouvons plus créer dans nos universités un cadre de réflexion, de
discussions fertiles et de penser libre, nous nous laissons aller aux illuminations de tout genre, à de la rêverie
béate. Nous sommes comme des Zombies, dépouillés de notre ‘capacité de revenir
à soi, de se comprendre en parlant à soi, de raisonner et de réfléchir aux
conséquences des actes accomplis ou à poser[5].
Aminata
Traoré[6]
face à ces situations de crises s’interroge : où sommes-nous ? Que
nous est-il arrivé ? Que se passe t-il en ce moment précis de l’histoire
de notre continent et de l’humanité ? Comment nous faut-il envisager
l’avenir ? A ces suites de questions nous pouvons nous demander y a-t-il
encore de l’espoir de sauver l’université africaine ? Quels moyens
pouvons-nous employer pour lui permettre de reprendre son envol ? Et si
l’universitaire africain refusait lui-même son propre développement ?
Dans
une approche faite à partir des principes du leadership essayons de montrer
qu’il est possible aujourd’hui de sortir l’universitaire africain dans les
carcans du mutisme auxquels il s’est lui-même embrigadés.
Nous
convenons avec le professeur Kä MANA que l’absence d’un leadership politique efficace et d’une gouvernance responsable
mérite une attention particulière de la part de tous ceux et toutes celles qui
veulent changer le destin de nos pays[7].
Parler
du leadership, c’est mettre en exergue un leader qui dirige à bon escient les
affaires publiques, qui veille au strict respect des biens communautaires, qui
à le souci de l’autre et de la collectivité c’est ce que Kä Mana appelle
« le leadership communautaire »[8].
Ce type de leadership et cette sorte de gouvernance solidaire se veulent très
exigeants, car c’est à travers eux que nous pouvons savoir à tout moment qu’il y a un bonheur collectif
à construire, les intérêts communs à sauvegarder, un avenir communautaire à
bâtir […]. Au lieu de travailler sur la base des profits individuels, ou
claniques, ou tribaux, ou mafioso-corporatistes et mystico-ésotériques, qui
détruisent la qualité du destin communautaire, on considérerait ce destin
communautaire comme le vrai garant de l’épanouissement des individus[9].
Comment rendre réels aujourd’hui le leadership communautaire et la gouvernance
solidaire ? A notre humble avis en se formant à l’école de Stephen Covey.
Stephen
Covey dans son ouvrage The Seven Habits
of Highly effective people (les sept habitudes de ceux qui réalisent tous
ceux qu’ils entreprennent). Nous présentent sept habitudes latentes en nous et
qui s’imbriquent autour de trois principes phares : la dépendance,
l’interdépendance et l’indépendance. Ils constituent de façon graduelle les
étapes vers la maturité effective. Donc à s’en tenir à cet ordre nous
comprenons dès lors que l’indépendance est l’étape de la pleine maturité.
Aujourd’hui, nous sommes en droit de nous demander où se situe l’intellectuel
africain ? Et puis même lorsqu’on parle des indépendances en Afrique, et
que sur le terrain nous découvrons d’autres réalités sommes-nous réellement en
droit d’utiliser ce terme ? Si ce droit nous revenait pourquoi ne
figurons-nous pas dans la liste de ce fameux G… ? De toutes les façons il
est à noter fortement que la vraie lutte pour la libération des consciences
passe par un engagement à entrer dans l’ère du leadership communautaire et de
la nouvelle « gouvernance au point d’en faire le grand enjeu de l’avenir
et de l’éducation de l’ensemble de nos sociétés »[10].
Nous devons aussi penser dans nos institutions à mettre sur pied des centres
d’excellence qui s’organise en réseau sous la forme nébuleuse, une sorte d’« Al Quaïda » qui ne serait pas un
réseau de terroristes et de kamikazes plutôt une chaîne de personnes ayant pour
armes leur intelligence et leur [conviction religieuse forte] et engagées dans
la transformation de ce monde, l’invention d’une Afrique nouvelle comme espace
de « Bonheur Partagé » (Kä Mana, 2001).
Les Sources
COVEY
Stephen, the Seven Habits of highly
Effective People, London, Free Press, 1989, 372 P.- Kä
Mana, L’Afrique, Notre Projet, révolutionner l’imaginaire africain, Yaoundé,
éditions Terroirs, 2009, 336 P. - Kä
Mana, le Bonheur Partagé, 2001.
Kä MANA, Sciences sociales et Nouvelle Humanité africaine, http//www.arts.uwa.edu.au/motspluriels/MP2403.pkm.html.
- MVENG Engelbert, Paupérisation et Développement en Afrique, Terroirs, 1992/1.
- TIENTCHEU Bertrand, Crises d’Afrique, Crises de nos Intelligence : Penser et Bâtir
l’Université Africaine Nouvelle pour la Renaissance de l’Afrique, Yaoundé,
2005.
- Traoré Aminata, l’Etau, l’Afrique dans un monde sans frontières, Paris, 1999.
[1]- Kä MANA, Sciences sociales et Nouvelle Humanité
africaine, http//www.arts.uwa.edu.au/motspluriels/MP2403.pkm.html
[2]-
Bertrand TIENTCHEU, Crises d’Afrique,
Crises de nos Intelligence : Penser et Bâtir l’Université Africaine Nouvelle
pour la Renaissance de l’Afrique, Yaoundé, 2005, P.46.
[3]- Engelbert MVENG, Paupérisation et Développement en Afrique,
Terroirs, 1992/1.
[4]- Bertrand TIENTCHEU,
Op.cit., P.46.
[5]- Eboussi Boulaga cité
par Bertrand Tientcheu, P.50.
[6]- Aminata Traoré, l’Etau, l’Afrique dans un monde sans
frontières, Paris, 1999.
[7]- Revue Congo-Afrique, n°
423, mars 2008 cité par Kä Mana, l’Afrique,
notre projet, Yaoundé, terroirs, 2009, P.199.
[8]- Kä Mana,
Ibid. P.203.
[9]- Kä Mana,
Ibid. P.204.
[10]-
Kä Mana, Ibid. P.205.
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