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La mort de Dieu et la volonté de puissance

La philosophie de Nietzsche est une réflexion ouverte qui permet plusieurs types d?entrées dans l??uvre. Certes il en est qui restent à la superficie et débouchent rapidement sur une impasse, à l?instar de ces fausses entrées au théâtre qui laissent le spectateur perplexe. La polémique antichrétienne de Nietzsche, par exemple, a paru à certains tellement démesurée qu?on l?a facilement assimilée à une diatribe sans fondement qui ne mérite ni attention ni débat. De ce fait, pour beaucoup de chrétiens, Nietzsche était le philosophe inutile, au pire « interdit » selon le titre de l?ouvrage de Peter Köster paru en 1998 qui analyse la réception de Nietzsche dans l?univers catholique allemand de 1890 à 1918. Cette entrée est trop courte pour permettre une approche enrichissante et pertinente d?une philosophie qui, quoi qu?il en soit, bouleverse bien des cadres traditionnels. Ses analyse lucides nous aident à comprendre notre temps, dans la mesure où elles préparaient, voir même annonçaient ce qui nous est arrivé. Déjà à ce titre, elles appellent toute notre attention. Le thème de la « mort de Dieu » est un de ces lieux nietzschéens qui, parce qu?il porte loin, aujourd?hui comme au xixe siècle, offre un pôle d?excellence pour une analyse en profondeur des évolutions philosophiques comme de certaines ruptures culturelles qui ne laissent pas de nous surprendre. Peut-on, par exemple, faire un lien entre l?annonce nietzschéenne de la mort de Dieu et l?étonnant déclin des religions que nous observons aujourd?hui dans le monde occidental ? Sans chercher à découvrir de nouvelles filiations ou à esquisser des relations de causalité, je voudrais rappeler en quoi la réflexion de Nietzsche, en la matière, peut être un fil conducteur particulièrement précieux pour comprendre ce qui nous arrive, voir même ce qui nous attend. De ce point de vue, on peut dire de Nietzsche qu?il est un homme posthume. Son ?uvre appartient à l?actualité de l?essentiel.

1 . Le Gai savoir, § 108. Dorénavant cité G.S. Toutes les citations sont tirées de l?édition critique,(...)
2Avant toute interprétation, il faut prendre acte de l?énoncé nietzschéen « Dieu est mort » 1. Tranquille proclamation qui trouve toute sa force dans l?usage de l?indicatif présent. Nous sommes en présence d?une affirmation qui n?a rien d?hypothétique, mais au contraire a tout du fait acquis. Comme si c?était une évidence qui n?a besoin d?aucune démonstration, mais qu?il serait facile de « vérifier » sociologiquement. Bref dans cette perspective, on rapprocherait la proclamation nietzschéenne des enquêtes de société qui soulignent la chute des pratiques religieuses.

3Une telle lecture, de par sa banalité, non seulement appauvrit la réflexion de Nietzsche, elle la déracine de son projet global, elle lui dénie sa dynamique propre et la réduit au propos journalistique provocateur. Car pour Nietzsche, dans le champ philosophique, il n?y a ni fait, ni évidence. Tout est de l?ordre de l?interprétation. Il tourne ainsi le dos au positivisme qui prétend en rester au plan de la phénoménalité c?est-à-dire au démontrable. La mort de Dieu n?est donc pas une de ces affirmations péremptoires dont raffolent les esprits primaires pour asseoir leur suffisance. La mort de Dieu ne peut pas s?assimiler à un fait vérifiable comme le croyaient trop de positivistes. Je ne vois pas Dieu, donc Dieu n?est pas. La mort de Dieu est une interprétation, en donnant à ce terme toute son ampleur, y compris musicale. On le sait, en musique, il n?y a pas de texte objectif, qui serait comme le corps de la musique. Il n?y a, de fait, que des interprétations c?est-à-dire des lectures ponctuelles produites par l?artiste. Ainsi en est-il de la mort de Dieu : non un fait mais une interprétation qui s?inscrit dans l?ensemble de la philosophie de Nietzsche. Sa signification dépend donc du jeu des circulations mises en ?uvre dans toute son ?uvre. À l?image d?une construction dont la figure dépend du choix des matériaux puisés sur l?ensemble du chantier nietzschéen.

4L?interprétation ne renvoie pas pour autant au subjectivisme de celui qui l?a produit. Elle fait appel à ce que Nietzsche nomme le « perspectivisme ». Le sens n?est jamais arrêté à une signification. Il appelle une pluralité d?approches qui sont autant de regards diversifiés sur « le même » qui s?en trouve différencié. Le perspectivisme est l?inverse d?un monolithisme idéologique pour qui le sens est toujours unique c?est-à-dire identique au même. Alors que dans la pluralité des approches, dans la reprise des significations on enrichit ce que l?on cherche. L?interprétation ne peut donc qu?être le fruit d?une Vieldeutigkeit qui est l?expression de la richesse du monde. Nous voici prévenu. Il ne peut, en la matière, y avoir de raccourci hâtif ou d?affirmations péremptoires qui n?ont d?autre fondement que l?auto-suffisance du sujet qui affirme. Rien n?est moins évident que de penser Dieu comme mort ; d?autant que dans toutes les civilisations l?immortalité définit la nature même du divin. On ne réduira donc pas immédiatement la notion de « mort de Dieu » à sa non-existence.

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